Étudier la migration : entre distance réelle et frontières administratives. L'exemple de la migration pour études des collégiens québécois.
Eric Richard  1@  
1 : Campus Notre-Dame-de-Foy

Les migrations humaines et l'augmentation de la mobilité des individus représentent l'une des caractéristiques importantes des sociétés contemporaines, tant sur le plan international que régional (Simon, 1995; Guilbert, 2005) et se situent souvent au cœur des transformations des sociétés. Pour certains auteurs (Gaudreault, Perron et Veillette, 2002 : 140), la migration des jeunes Québécois serait d'ailleurs « l'un des phénomènes les plus remarquables des 25 dernières années ». En effet, cette réalité touche annuellement des milliers de jeunes au Québec qui quittent leur milieu d'origine pour migrer vers de nouveaux horizons à l'intérieur de la province. Plusieurs migrent pour entreprendre des études au niveau collégial, communément appelé CÉGEP (collège d'enseignement général et professionnel). Le CÉGEP constitue le premier palier de l'enseignement supérieur québécois. Même si le réseau collégial québécois compte 78 établissements (cégeps, collèges privés, conservatoires et instituts) implantés dans toutes les régions du Québec, force est de reconnaître que les limites géographiques et celles concernant l'offre de programmes du système collégial obligent certains jeunes à s'éloigner de plusieurs centaines de kilomètres de leur milieu d'origine pour poursuivre leurs études (Simard, 2011). Pour ces jeunes, l'expérience migratoire ainsi que la période de la vie où elle s'effectue – particulièrement dans le cas des jeunes arrivés à l'aube d'un âge marqué de transitions importantes – influenceront la construction progressive de leur vie. Pour plusieurs chercheurs, la migration serait d'ailleurs devenue une norme sociale faisant partie du processus de socialisation d'un nombre grandissant de jeunes (Gauthier, 1997; Moquay, 2001; Garneau, 2003), voire d'une forme de rite de passage permettant d'intégrer le monde des adultes (Assogba, Fréchette et Desmarais, 2000; Richard et Mareschal, 2013). Le processus migratoire devient donc une phase importante dans la vie de plusieurs jeunes que l'on doit comprendre dans toutes ses dimensions.

 

Cette communication s'intéresse donc à la mobilité de jeunes Québécois appelés « migrants pour études ». Cette mobilité est intraprovinciale et est définie comme la sortie du lieu d'origine d'un jeune âgé de moins de 24 ans, ayant terminé ses études secondaires au Québec, qui se déplace pour entreprendre des études collégiales dans un collège situé à plus de 80 kilomètres de son lieu d'origine.

 

Des travaux en cours, subventionnés par le Programme d'aide à la recherche sur l'enseignement et l'apprentissage (PAREA) (2014-2017) du Gouvernement du Québec, ont pour objectif de décrire les mouvements migratoires intraprovinciaux pour études collégiales en dressant un portrait de la migration pour études au Québec (lieux de départ, pôles d'attraction, mouvement migratoire provincial, profil des étudiants selon le sexe, l'âge, le secteur d'études).

 

Au cours de ces travaux, qui s'inscrivent dans une approche socio-anthropologique de l'éducation, deux principaux défis ont été rencontrés. D'une part, il a fallu définir le concept de « migration pour études intraprovinciale » de manière opérationnelle. Sur le plan conceptuel, la migration est généralement définie par une dimension temporelle et une dimension spatiale. Toutefois, il est généralement admis que ces dernières sont problématiques et pourraient fausser la compréhension et la quantification de la migration (Niedomysl et Fransson, 2014). À ce jour, les travaux sur la migration pour études intraprovinciale au Québec se sont concentrés sur la dimension spatiale en privilégiant le critère des distances réelles parcourues (et non pas les mouvements à travers des frontières administratives) pour identifier les étudiants qui migrent et pour quantifier l'ampleur du phénomène. La communication exposera les enjeux conceptuels et méthodologiques concernant ce choix et examinera comment les volumes de la migration, les caractéristiques des migrants et, surtout, les résultats sur la persévérance scolaire et la diplomation changent selon le critère adopté (distances réelles parcourues ou frontières administratives). Les exemples fournis sont tirés des analyses effectuées sur huit cohortes (2005 à 2012) d'étudiants inscrits pour la première fois au collégial des 48 collèges publics québécois. Le nombre de sujets disponibles pour les analyses est de 359 276.

 

D'autre part, le deuxième défi fut de constituer et de traiter une nouvelle base de données pour étudier le phénomène de la migration pour études des collégiens québécois. À titre d'exemple, contrairement aux bases de données nationales (National Center for Education Statistics, Commission of Higher Education ou le U.S. Department of Education) auxquelles les chercheurs américains ont accès, le ministère de l'Éducation québécois recueille peu de renseignements permettant d'identifier et de suivre le parcours des étudiants migrants selon les établissements d'enseignement secondaire et collégial fréquentés d'une année à l'autre. Néanmoins, il fut possible de regrouper divers renseignements et statistiques concernant le cheminement scolaire des étudiants de toute la province à partir d'une base de données vouée au dépistage des étudiants faibles aux fins d'intervention (système DÉFI), administrée par le Service régional d'admission du Montréal métropolitain (SRAM). Les données constituées concernent huit cohortes (2005 à 2012) d'étudiants des 48 collèges publics québécois (n = 359 276). La communication discutera des défis liés au traitement et à l'analyse des données et des enjeux concernant d'éventuelles modélisations et représentations cartographiques.

 


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