Quelle distribution spatiale de la jeunesse qualifiée ? Sur la relégation résidentielle des jeunes diplômés d'origine populaire en dehors des grandes agglomérations françaises
Elie Guéraut  1, 2, 3@  
1 : Cerlis/Université Paris Descartes
Université Paris V - Paris Descartes
2 : Cesaer/INRA
Institut national de la recherche agronomique (INRA)
3 : Unité 6/Ined
INED

  • A l'heure de la « société des diplômes », les raisons qui poussent une partie de la jeunesse à rejoindre les grandes agglomérations sont connues, il s'agit à la fois d'acquérir des titres scolaires distinctifs et de se positionner physiquement dans un marché du travail où l'emploi qualifié est sur-représenté par rapport au contexte national. Pourtant, « monter » à Paris ou dans une métropole française et y acquérir un ou plusieurs titres scolaires n'est pas toujours une condition suffisante pour s'y établir, comme en témoigne le départ massif de jeunes diplômés vers des espaces moins concurrentiels, notamment vers les villes moyennes (entre 2003 et 2008, 190 000 diplômés de l'enseignement supérieur ont quitté une unité urbaine de plus de 200 000 habitants pour un espace moins peuplé ; 70 000 environ ont rejoint une unité urbaine « moyenne », de 20 000 à 100 000 habitants – source RP 2008). Cela ne signifie pas que les ressources escomptées n'ont pas été obtenues mais qu'elles sont parfois utilisées en dehors du lieu où elles sont accumulées. Dans cette perspective, les mobilités résidentielles peuvent être appréhendées comme une manière de tirer de ses capitaux leur meilleur rendement en jouant sur les variations de valeur de ces ressources selon la localisation dans l'espace. Partant de cette idée, cet communication entend interroger le cas de ces jeunes diplômés arrivant des métropoles qui s'installent dans des unités urbaines de taille moindre, et plus spécifiquement de ceux qui regagnent leur territoire d'origine et s'installe à proximité de leur « entourage ». Ce phénomène, que nous avons choisi d'appeler « retour qualifié », se présente ainsi comme une manière de faire circuler ses capitaux entre différents « espaces sociaux localisés » mais également de prendre appui sur des ressources sociales locales principalement héritées de l'autochtonie familiale (notamment en termes de connaissances relatives au marché du travail local). En somme, en nous référant à des données quantitatives et ethnographiques, il s'agit de nous interroger sur la nature et les modalités d'usage des ressources sociales qu'utilisent ces jeunes diplômés arrivant des grandes agglomérations afin de se positionner, professionnellement notamment, en dehors de ces espaces.

  • Prenant appui sur des données issues de la statistique publique (RP 2008, le dernier en date permettant de mesurer les mobilités des populations, et l'Enquête Emploi 2014), cette communication s'attachera à décrire sommairement ces jeunes migrants qualifiés, ce qui nous permettra d'initier une flexion plus approfondie sur leurs stratégies migratoires. Nous verrons qu'à ce titre, les villes moyennes constituent un lieu volontiers investi par cette population, dans la mesure où elles offrent un compromis satisfaisant entre une offre importante d'emplois qualifiés et une relative faible concurrence dans l'accès à ceux-ci. Après avoir souligné les limites d'une approche statistique (à partir du RP 2008) qui ne permet qu'incomplètement d'appréhender la diversité de cette population, nous reviendrons sur quelques résultats d'une enquête ethnographique de longue durée dans une ville moyenne du centre de la France. Nous verrons notamment comment ces jeunes sujets au retour qualifié sont, dans ce contexte, pour la plupart originaires de familles populaires et autochtones. Le retour à proximité de l'entourage se présente alors comme la conséquence de l'étroitesse des ressources sociales accumulées et transmises par la famille. En effet, les titres scolaires possédés sont rarement les plus distinctifs (licences ou masters des filières non-séléctives des SHS pour la plupart) ; de même, l'aide matérielle apportée par la famille durant les années d'études supérieures est limitée voire absente ; enfin, ni ces jeunes ni leurs parents ne possèdent un capital social efficient dans les grandes agglomérations, qui aurait pu faciliter l'accès à l'emploi qualifié. En cela, le retour est avant tout vécu comme une contrainte pour ces jeunes dans la mesure où il vient contrarier les aspirations sociales et spatiales qu'avaient pu faire naître une réussite scolaire précoce et constante. Pourtant, celui-ci leur ouvre aussi de nouvelles opportunités ; vivre à proximité de leur entourage, sur un territoire familier, leur donne la possibilité de mobiliser certaines ressources sociales localisées. Certaines de ces ressources sont par exemple utilisées pour trouver un travail : parce que ces jeunes sont en mesure de savoir où, quand, et comment postuler, ils investissent au mieux leurs capitaux scolaires et culturels sur le marché du travail local et accèdent ainsi à l'emploi qualifié, principalement dans les professions intermédiaires et supérieures du public et du parapublic, dans les secteurs de la culture, de l'éducation et du social.


Personnes connectées : 1