L'habitat informel dans les villes camerounaises: un renversement de perspective
Ferdinand Mben Lissouck  1@  
1 : Université de Yaoundé I  (UYI)  -  Site web
• B.P. 337 • Yaoundé • Centre • Cameroun • Tél. +237 242 22 13 20 -  Cameroun

Depuis les premiers travaux de l'École de Chicago, les recherches qui s'intéressent aux itinéraires résidentiels des individus en milieu urbain montrent, pour la plupart, qu'il y a une relation directe entre mobilité sociale et mobilité spatiale. Autrement dit, les individus qui s'élèvent sur l'échelle sociale partent, très souvent, pour des quartiers urbains ayant un standing supérieur à celui de leurs anciens quartiers et inversement. Cette recherche s'intéresse aux trajectoires résidentielles des citadins des villes camerounaises dans une perspective différente. Elle étudie les migrations résidentielles des citadins en mobilité sociale ascendante dont la nouvelle tendance est de partir des quartiers aux standings divers et variés, pour s'installer définitivement dans des quartiers informels.

Pour rendre compte de ces trajectoires résidentielles déviantes de l'élite urbaine, nouvelles par leur ampleur, cette recherche a fait appel aux techniques quantitatives et qualitatives. Ȧ cet effet, une enquête par questionnaires que nous avons coordonnée, a concerné deux mille citadins des villes de Yaoundé et Ebolowa, respectivement capitale politique du Cameroun et capitale régionale du sud du pays. Ces données quantitatives ont été collectées du 18 juillet au 21 septembre 2014, par une équipe de 16 enquêteurs de niveaux Master et Doctorat. Cette enquête a été complétée par une collecte qualitative, que nous avons menée tout seul de bout en bout. Pour ce faire, un peu plus d'une soixantaine d'entretiens semi-directifs ont ciblé un certains nombre de personnes ressources: quarante (40) décideurs; dix-sept (17) citadins ordinaires; et quatre (4) spécialistes des questions urbaines d'envergure internationale. En outre, une enquête complémentaire a été effectuée au courant du mois d'août, (du 04 au 25), elle s'est intéressée à la perception, par les auto-promoteurs de l'habitat illégal de Yaoundé et Ébolowa, des destructions de logements spontanés qui, depuis le premier juillet 2015, ont lieu dans la ville de Douala (Capitale économique du Cameroun). Les sources documentaires et l'observation directe continue ont constitué une excellente base de données pour notre recherche, et continuent de nous servir dans le cadre de cette thèse de doctorat en cours de rédaction et donc la soutenance est prévue pour juillet 2016, à l'Université de Yaoundé I au Cameroun.

Concernant l'ancrage théorique de cette étude, elle s'inscrit dans le champ de la sociologie de la transaction sociale telle qu'elle est envisagée par Jean-Rémy, Emile Servais et Liliane Voyé, et développée par Maurice Blanc. En effet, d'après nos observations, le caractère «ambiguë » des villes camerounaises participe effectivement d'une coopération conflictuelle entre l'administration et les citadins locaux. Ce travail tire également profit des acquis de l'analyse des réseaux, notamment en prenant appui sur les travaux d'Alain Degenne et de Michel Forsé. Ȧ notre sens, pour comprendre le développement de l'habitat informel dans la ville camerounaise d'aujourd'hui, il est indispensable de considérer que les membres de l'élite politico-administrative chargés d'appliquer les lois en matière d'urbanisme et de la construction appartiennent aussi à des réseaux multiples qui ont, très souvent, un impact sur leur mandat de décideur et qui ne leur permet pas toujours d'appliquer la loi à la lettre. Cette recherche qui s'inscrit en droite ligne des travaux de la sociologie de la déviance, présente la colonisation des espaces interdits de construction par l'élite urbaine, comme participant d'une volonté pour cette catégorie de la population des villes locales, de faire la promotion d'un urbanisme des marges seul à même de leur garantir une jouissance de leur droit à la ville dans des agglomérations urbaine qui, plus que jamais, connaissent une véritable crise de l'habitat.

En effet, les résultats auxquels sous sommes actuellement parvenus 51% de notre échantillon ayant construit en matériaux définitifs sur des espaces interdits de construction sont en mobilité sociale ascendante et proviennent de quartiers urbains de tous les standings. En réalité, dans un contexte où l'accès à la propriété foncière est une véritable gageure, la colonisation des espaces interdits de construction par la nouvelle élite urbaine des villes locales montre que la volonté d'être chez soi dans les représentations citadines au Cameroun, passe avant les préoccupations d'ordre juridique, sécuritaire et/ou écologique. Dès lors, autrefois considérés comme la "chasse gardée" des couches pauvres des sociétés urbaines camerounaises, les zones de fortes pentes et les bas-fonds inondables, classés comme zones interdites de construction, sont aujourd'hui prises d'assaut par une partie de la nouvelle élite urbaine qui ne répugne plus à s'y construire des maisons d'habitation. Ce faisant, elle contribue, plus que jamais, à créer une inflation de l'urbanisme des marges dans une société où, selon les Nations-Unies, 67% de la population urbaine vivent dans des bidonvilles et où les quartiers informels connaissent une croissance annuelle de 5,5%, tandis que plus de 80% des transactions foncières se font de manière informelle.



  • Image
  • Poster
Personnes connectées : 1