Boarding Class. Mesurer la démocratisation du transport aérien en France et en Europe.
Yoann Demoli  1@  , Jeanne Subtil@
1 : Laboratoire de sociologie quantitative  (LSQ)  -  Site web
Centre de Recherche en Économie et STatistique (CREST)
60, rue Etienne Dolet 92245 Malakoff Cedex -  France

Qu'on la considère comme un capital découlant d'autres formes de capitaux [Lévy, 2003], comme une forme de capital à part entière [Kaufmann & Jemelin, 2004] ou encore comme un capital dont découlent d'autres formes de capitaux [Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007], la mobilité spatiale apparaît tout à fait centrale dans les logiques de stratification sociale. Or, le recours à l'avion semble être un analyseur robuste de l'accès à une mobilité particulièrement valorisée - et à ses corollaires. Si, selon la dernière Enquête nationale transports, le transport aérien a augmenté de plus de 30% entre 1994 et 2008 en France et s'il concentre 30% de la distance totale annuelle des déplacements de longue distance, il ne concerne que 5,7% des déplacements de longue distance. Aussi ce mode de transport constitue un puissant révélateur des inégalités en termes d'accès à une forme de mobilité particulièrement intense et en forte croissance. La partition qui a présidé à l'invention de la notion de déplacement, la temporalité (courte) et l'espace dans lequel la mobilité se déroule (externe au bassin de vie) font de l'avion un mode de voyage, dont il s'agit d'interroger la massification. Aussi, ce dernier s'accompagne nécessairement d'activités associées au mode de vie des individus, qu'il s'agisse de raisons professionnelles, familiales ou de l'accès aux loisirs et à la culture ; or, l'accès à ces activités est inégalement réparti selon les caractéristiques sociodémographiques des individus et des ressources dont ils disposent. Au sein de débats scientifiques affirmant la banalisation de la mobilité et de ses conséquences, jusqu'à remettre en cause le concept même de société au profit de la mobilité [Urry, 2000], le discours quasiment unanime de la démocratisation du transport aérien invite à s'interroger sur cette dernière, et d'en poser les limites. Aussi s'agit-il de définir cette démocratisation selon la composition et les recompositions sociales des voyageurs aériens au fil du temps. L'avion est un mode de transport que l'on peut associer aussi bien au « budget temps » dont disposent des voyageurs inégalement dotés qu'à leur budget économique dédié aux voyages - concepts utilisés par des économistes comme Andreas Schafer [Schafer, 1998]. Le temps et l'argent consacrés aux voyages, mais aussi au séjour dans le lieu de destination finale, déterminent le mode de transport utilisé pour de longues distances. L'âge, le capital économique, l'occupation professionnelle, le niveau d'éducation apparaissent ainsi comme des déterminants de l'usage de l'avion comme moyen de transport pour de longues distances. Pour Sorokin [Sorokin, 1927], la mobilité comme mouvement géographique ou déplacement dans l'espace physique ne prend sens qu'à travers les changements de statut qu'elle implique. Aussi semble-t-il particulièrement fécond de s'intéresser à l'inscription des pratiques du recours à l'avion dans l'espace social, et ainsi de lier mobilité sociale et mobilité spatiale : le recours à l'avion permettrait une mobilité horizontale rapide, des changements de statuts agrégés dans un même parcours de vie, ce qui, pour McKenzie [McKenzie, 1927] est davantage une définition de la fluidité, autrement dit, des déplacements routiniers. C'est ici que se pose la question de l'hypermobilité [Kaufmann, 2008], où la différence entre mobilité et déplacements prend son sens. En effet, pour moins changer d'état, l'on peut être amener à se déplacer davantage, sans pour autant être plus mobile. Parce que les déplacements sont une demande « dérivée », c'est-à-dire qu'ils sont réalisés dans le but d'accomplir une activité, c'est l'activité finale qui nous intéresse ici. D'une part, la possibilité de recourir à l'avion peut ouvrir à des activités autrement impossibles du fait de la distance ; d'autre part, le temps de transport entre en compte parmi les paramètres du choix modal qui n'est pas constitué d'une même offre pour tous - la notion de motilité [Kaufmann, 2001] permet de traiter de ces problématiques d'accessibilité, de compétences et de possibilité de l'avion comme mode de transport. Dans les deux cas, des inégalités d'accès à des espaces ou de modalité d'accès à des espaces en termes de temps existent et méritent d'être analysées. ∗. Sciences Po et Laboratoire de Sociologie Quantitative (CREST - GENES). Contact : yoann.demoli@gmail.com et jeanne.subtil@gmail.com. Il s'agit donc d'analyser à la fois les chances de recours au transport aérien dans les déplacements de longue distance, ainsi que la composition sociale des voyageurs aériens en fonction de caractéristiques sociodémographiques mais aussi des conditions et des motifs du voyage. Trois sources de données seront mobilisées. À partir de l'enquête « Qualité des transports » 2014 de l'Eurobaromètre, il est possible de situer le cas des résidents français par rapport aux 27 autres pays-membres de l'Union européenne à partir d'une solide base de données qui offre en outre la possibilité d'étudier les choix modaux des voyages de longue distance (plus de 300 km dans les douze derniers mois). Les Enquêtes nationales transports des années 1973-4, 1981-2, 1993-4 et 2007-8 autorisent, quant à elles, à décrire la morphologie sociale des passagers aériens ainsi que ses évolutions, à déterminer l'étendue et les modalités de la massification du transport aérien. Elles permettent également de mieux appréhender les logiques de choix modal pour les déplacements longs en confrontant les motifs, les destinations des séjours des différents voyageurs. Enfin, une enquête sur site, réalisée dans les aéroports français, l'Enquête nationale des passagers aériens - dont nous en sommes en train de négocier l'accès - menée chaque année depuis 2010 par la Direction générale de l'aviation civile nous permet de comprendre plus finement les logiques de flux, les motifs qui y président ainsi que les caractéristiques des voyageurs. L'articulation de ces trois enquêtes vise ainsi à comprendre les évolutions du recours au voyage aérien, à décrire la morphologie sociale de leurs usagers et à attester d'un mouvement de démocratisation.



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