Des villes en décroissance françaises en mal d'attractivité : analyse des mobilités résidentielles et des secteurs d'activité.
Mathilde Rudolph  1@  
1 : Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe  (SAGE)  -  Site web
CNRS : UMR7363, université de Strasbourg
Maison interuniversitaire des sciences de l'homme - Alsace 5 allée du Général Rouvillois 67083 Strasbourg Cedex -  France

Dans un contexte européen où 42 % des villes de plus de 200 000 habitants sont en décroissance (Turok et Mykhnenko, 2007), la France semble faire office d'exception, puisque le déclin de population de ses villes apparaît comme moindre, masqué par une fécondité relativement élevée et une dynamique démographique favorable. Pourtant, la désindustrialisation, constituant l'un des facteurs de la décroissance en Europe, a causé des baisses de population dans les anciennes régions industrielles comme en Allemagne, dans le Nord de l'Angleterre mais également en France (Kabisch et al., 2006). Les bassins industriels français touchés par le processus de désindustrialisation en ont de ce fait connu un autre, celui du déclin démographique. C'est donc près de 20 % des aires urbaines françaises qui ont constaté une baisse de leur population entre 1975 et 2007 (Wolff et al., 2013). La géographie de la décroissance urbaine en France confirme le lien étroit entre désindustrialisation et déclin démographique, puisque les aires urbaines touchées par le phénomène se situent au Nord, Nord-Est, et sur les pourtours du Massif Central (Wolff et al., 2013). Ainsi, les villes spécialisées dans les activités industrielles sont celles qui affichent les déficits migratoires les plus importants et qui n'ont pas été comblés par le seul solde naturel.

Une étude des mobilités résidentielles, cause majoritaire de la décroissance démographique de certaines villes françaises, est ainsi menée dans les aires urbaines en décroissance entre 1990 et 2011. Dans un premier temps, les seuls niveaux des flux entrants et sortants sont appréhendés pour préciser l'action des mobilités résidentielles sur les processus de croissance et décroissance démographiques dans un milieu urbain. Ils sont par la suite associés à des déterminants socio-économiques de la migration afin d'expliciter le lien entre déclin démographique et économique. Des variables telles que le niveau de diplôme et la catégorie socio-professionnelle seront privilégiées en tant que facteurs influençant le capital social des individus et leur propension à la mobilité. A ces facteurs individuels sera ajouté celui, environnemental, des secteurs d'activité. Les données utilisées proviennent de recensements de la population entre 1990 et 2011 et de la Connaissance Locale de l'Appareil Productif (CLAP). L'échelle d'étude retenue ici est celle de l'aire urbaine (zonage 2011 défini par l'INSEE), qui permet une mesure plus spécifique de l'influence et l'attractivité économique d'une ville auprès des territoires alentours et des flux migratoires, mais aussi de s'affranchir des mobilités courtes, probablement motivées par un seul changement de logement (Gobillon, 2001).

Les premiers résultats montrent que les aires urbaines en décroissance se caractérisent surtout par une immigration moindre qui traduit un manque d'attractivité. En revanche, un départ « en masse » des populations n'a pas été constaté au sein de ces territoires. Une sélectivité de la mobilité résidentielle s'opère effectivement, à savoir que certaines catégories sociales, les plus diplômées, cadres et professions intermédiaires, connaissent des probabilités de migrer plus élevées que les personnes non diplômées et les ouvriers (entre autres). Les aires urbaines en décroissance se distinguent toutefois par des déficits accrus de certaines populations : les cadres et les diplômés du supérieur par exemple, dont la probabilité d'émigrer est bien plus élevée. Les ouvriers et les individus sans diplôme connaissent en revanche des probabilités bien plus faibles de procéder à une migration dans un territoire en déclin (Rudolph, 2015).

L'analyse et la catégorisation des aires urbaines par secteur d'activité permettent par la suite d'identifier des marqueurs de l'attractivité (ou de la « répulsivité ») des territoires auprès des populations impliquées dans des flux de migrations. Afin d'appréhender les logiques et motivations des mobilités résidentielles, lieu d'émigration et lieu d'immigration seront clairement distingués, pour tenter de dégager des « trajectoires » types, en lien avec les caractéristiques socio-économiques des individus.


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